Histoire syndicale des gantiers

Les congés payés dès 1926 .

Cette conquête n’a pas germé, à Millau, par hasard, es gantiers forment une véritable « aristocratie ouvrière », le métier réclame un savoir-faire, un apprentissage – et on ne les remplacegantiers millau donc pas au pied levé. Voilà qui, avec les patrons, instaure un rapport de force : dans la ganterie Lauret, une aile est ainsi baptisée « la République libre des coupeurs ». Les gantiers, pionniers dans le Midi, se dotent d’une société mutuelle. « La solidarité existait, témoigne l’ancien maire de Creissels, village accolé à Millau. Quand un mutualiste était malade, d’autres étaient désignés pour aller le veiller. On payait quelques médicaments et on fournissait une petite indemnité journalière. Cela ressemblait au secours mutuel, c’était le début d’un esprit socialiste. »

Et on rêve toujours plus haut. Dès 1899, Aimé Lauret, membre de la Société, souhaite « la jouissance de la pension de retraite pour tous les sociétaires ayant atteint l’âge de 60 ans et subsidiairement si cette proposition n’est pas adaptée, les sociétaires ayant 40 années de sociétariat et 60 ans d’âge ». La retraite à 60 ans et avec 40 années de cotisation, il y a un siècle, déjà…

Une longue grève de 68 jours  éclata en 1911  (voir   « Avec les gantiers en grève  » Michel Delmouly )

Une motion syndicale, en 1926 mentionne une convention signée à Millau, dans l’Aveyron, « entre le syndicat CGT des Cuirs et peaux et l’union patronale de la Ganterie millavoise » portant sur les congés payés.  « Une démonstration inquiétante de l’esprit d’étroite discipline du prolétariat », s’alarme le sous-préfet de Millau. C’est que dans l’après-Première guerre, ces diables de gantiers mènent grève sur grève – en 1919, en 1920, en 1921 et en 1923 . Le 5 novembre 1923, ils sont plus de trois mille dans les rues, bien capables de tenir des semaines et le 10 novembre « Les ouvriers ont obtenu un relèvement moyen de 12,5% et les employés un salaire journalier minimum de 22 francs avec 12 jours de congé annuel payés. »

Certes, les patrons ont plié au bout de cinq jours seulement mais pour les militants de Millau, ce n’est qu’un début : eux poursuivent le combat. « Il nous faudra œuvrer syndicalement pour l’obtention pour tous, des congés payés : tous les travailleurs y ont droit », annonce la CGT, le 6 septembre 1924, dans un communiqué. Et de fait, un an plus tard à peine, le 21 septembre 1925, et sans même un conflit social, juste par une convention avec les patrons, « le congé payé » est « généralisé et appliqué à tout le personnel » des industries « cuirs et peaux » à Millau.

Eugène Calvet, de la ganterie Jonquet, confirme a posteriori : « Les gantiers vivaient bien. Dès 1920 nous avons eu les allocations familiales. Dès 1924, les congés payés, bien avant 36. Pour nous, 36 ne nous a amené que les 40 heures. » Mais les situations varient selon les entreprises : Henri Fressenges et Aimé Teyssedre, gantiers, « En 33, nous avons été les premiers à Millau à avoir le samedi après-midi. On disait la semaine anglaise. Les congés payés on les a attendus jusqu’à 36 comme tout le monde. »Mademoiselle Pradeille, couturière : « Quant aux congés payés … pendant longtemps les mégissiers restaient pendant leur congé pour avoir un double mois à cette occasion. Ça a été très dur d’apprendre aux gens à se servir du congé (…) Pourtant travailler au mois d’août, ça arrangeait peut être le patron, mais c’était dur, très dur».   La Voix du peuple, le bulletin de la CGT, va s’empresser de répandre cet éloge, pas de la paresse, mais du repos : une « enquête sur les vacances ouvrières » fait la une, en janvier 1926. Avec, à la fin, comme modèle, le « Contrat syndical pour les vacances » signé à Millau.

jonquet millau« La ganterie millavoise, comme le résume une historienne, reflète l’évolution du syndicalisme en France, avec un temps d’avance sur la loi. » Le paradoxe, c’est que, dans cette terre de luttes, le Front populaire passera presque inaperçu. Durant le printemps 1936, les gantiers millavois resteront au travail ; c’est que l’année d’avant s’est déroulée une terrible bataille. La France subit, avec retard, le contrecoup de la crise. Les marches de chômeurs traversent le pays. Localement, à Millau, le 22 juin 1934, la banque Villa fait faillite – réduisant à néant l’épargne des gantiers : « Si l’on me demande quel est le souvenir le plus marquant de ma vie, se rappelle André Maury, ancien maire de Millau, c’est incontestablement l’image de ces Millavois, hagards, devant les grilles de la banque en faillite. »

Le « cuir » souffre aussi : la demande diminue, et les gants tchécoslovaques, moins coûteux, deviennent réputés. Du coup, les patrons passent à l’offensive : ils dénoncent « les salaires plus élevés que partout ailleurs ». Eux ne négocient plus : ils imposent d’en « revenir au tarif du 1er juin 1929 diminué de 20 % », annonce L’Étincelle, journal socialiste, le 24 décembre 34. Les revenus des ouvriers seraient diminués du quart : ce cadeau de Noël ne passe pas ! « Réunis en assemblée générale », le 26, les syndicats « décident à l’unanimité la cessation du travail ». La grève va durer six mois, à travers un hiver rude, un cortège de misères devant les « soupes populaires ».

Fin janvier, le mouvement tourne à l’émeute : « Sur la place les manifestants ont jeté des quantités de cailloux et brisé de nombreuses vitrines. (…) Sur certains points, on a élevé des barricades avec tout ce qu’on trouvait sous la main : barrière de parcs à cochons, charriots, poubelles, etc. La garde mobile à pied et à cheval a dû charger à de nombreuses reprises. » (Le Messager, 26 janvier 1935) mais cette fois le patronat ne cède pas.